L'Epouse
EAN13
9782889070268
Éditeur
Zoé
Date de publication
Collection
DOMAINE FRANCAIS
Langue
français
Langue d'origine
français
Fiches UNIMARC
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L'Epouse

Zoé

Domaine Francais

Indisponible

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Dans ce texte, qui a été pour moi un vrai bonheur de lecture (je ne me suis
pas lassée d’en lire les versions successives), on trouve une attention
minutieuse et émerveillée aux objets, odeurs, couleurs, visages, émotions. Et
aux vêtements que porte en particulier Piper, le personnage principal. Il y a
une certaine audace à cette frivolité, dans ce contexte. En effet, ce goût du
beau, en particulier du tissu, tranche avec la mélancolie de la femme et,
surtout, avec la gravité de la situation israélo-palestinienne. Il participe
en fait de manière inédite au réalisme du texte. Piper choisit par exemple de
mettre ses sandales à talons plutôt que ses espadrilles parce ces dernières
lui donnent des cloques, ce détail importe parce qu’il est aussi une
justification, dans le for intérieur de l’épouse, qui doit assumer le regard
des Juives orthodoxes la regardant avec mépris dans le supermarché israélien.
Ce qui n’empêche pas le lecteur d’éprouver à ce moment-là à l’égard de Piper
un certain amusement, teinté d’incrédulité, comme on peut le ressentir pour
une amie que l’on connait très bien. Cette proximité avec l’héroïne est
subtilement suggérée par des finesses d’écriture qui contribuent à la magie du
texte. Le lecteur se rapproche tant de l’épouse que le texte semble adopter
son point de vue unique mais souvent sans en avoir l’air, et pour ensuite s’en
éloigner, et préférer un autre personnage, le mari, le vieux Hadj, les
enfants. Tous ces personnages ont bien leur autonomie, existent sans l’épouse,
sur laquelle on est pourtant centré. C’est un subtil va-et-vient entre
discours direct et indirect, for intérieur de Piper et narrateur omniscient,
comme une caméra qui oscille entre gros plan et vue d’ensemble. Il peut aussi
arriver que Piper raconte dans une lettre une scène, et la scène s’extirpe de
la lettre pour se mettre au présent et prendre toute sa place dans le corps du
roman. Anne-Sophie Subilia a l’art de la nuance et des personnages si vrais
qu’ils ont en eux toute l’ambivalence dont est capable l’être humain : Piper
n’est pas que belle, mélancolique et vaporeuse, loin de là : elle est aussi
énervante et contradictoire, trop gâtée et velléitaire. Mais lucide, toujours
lucide, comme la narratrice sans complaisance de Neiges intérieures, qui ne se
donnait aucune circonstance atténuante. Comme dans Neiges intérieures aussi,
le lecteur est immergé dans une forme de huis clos décrit au jour le jour.
L’Epouse : Elle doit s’inventer des passe-temps et des utilités. Ensemble mari
et femme vivent cette aventure, mais quand même, lui un peu plus qu’elle. Elle
se sent transparente, peine à exister. Le vendredi soir, le couple rejoint les
autres expatriés au Beach Club, ils se font beaux, les femmes se maquillent et
se parfument. Ils boivent, beaucoup. Mais si Piper est capable de s’animer à
ce genre de petit événement, elle devient de plus en plus indolente. « Au
milieu de sa liste domestique, elle est prise d’ennui et pose le crayon. Ils
verront bien, ils ont le temps. » « La femme du délégué n’a pas de mission
spécifique. Elle accompagne. Elle n’a pas la responsabilité des opérations, ni
l’adrénaline ni les fatigues. Elle n’a pas la satisfaction, la griserie, ni le
brut contact du travail. Elle a le farniente si elle souhaite. Est-ce agréable
? Elle ne peut être fière qu’à travers l’autre qui lui raconte comment c’était
dans les prisons et les rencontres compliquées. Elle, qu’a-t-elle fait ?
A-t-elle bien profité ? Elle regarde ses ongles, vernis à la perfection.
Songeuse. Elle est fière de lui et fière de leur mission, d’habiter sous un
toit flanqué du drapeau de la Croix-Rouge et, plus tard, de pouvoir conduire
sa Fiat 500. Quand elle passera une patrouille ou un poste-frontière, elle
dira Red Cross. Mais parfois il se peut bien qu’elle tombe dans la mélancolie
aiguë. Qu’est-ce qui pourrait avoir du sens ? Elle va écrire une lettre.
S’installe sur le patio. Je ne suis pas très utile ici. Plus tard, elle croira
entendre les femmes de l’hôpital, « Tu n’as qu’à l’adopter, ce bébé, si tu
t’inquiètes sur son sort ! », on la houspillera. » Après trois mois de
découvertes souvent euphoriques, la déprime s’installe. Piper se sent inutile,
elle manque de force pour agir, se néglige, ne cherche plus à balayer le sable
et se débarrasser des cafards, il y en a trop. Elle s’ennuie, en a honte. «
J’en ai marre de tout, d’être seule, des gens, de toi » balance-t-elle à son
mari. Le délégué s’inquiète. Il se rend compte qu’elle ne rit plus depuis
longtemps. Elle devrait rentrer en Europe, soufflent des proches, puis suggère
l’épouse elle-même. Le délégué panique. Il tâche de lui trouver des
occupations, dont une visite au département pédiatrie de l’hôpital : Le bébé :
«Dans l’une des grandes chambres se tiennent beaucoup de femmes, des mères,
des sœurs, des grands-mères, qui donnent le sein ou le biberon. C’est une
ruche lactée, fauve et bigarrée, où les paroles résonnent d’une paroi à
l’autre jusqu’aux tympans de la femme étrangère. Ça parle et raconte quantité
d’histoires. Elles se donnent probablement des conseils, partagent leurs
expériences, s’entraident et s’approvisionnent dans les cabas les unes des
autres. Quelques nourrissons hurlent de concert, comme au chenil. Ça
gesticule. C’est Gaza, ce mercredi-là, à quinze heures. » Elle remarque un
bébé seul, cheveux noirs hirsutes, souillé, se met à le caresser, puis la
lange, s’y attache prudemment : « La femme enfile sans trop réfléchir cette
blouse blanche anonyme, sans doute masculine dans sa coupe et son odeur. Elle
boutonne dimanche avec lundi. Elle glisse un œil à l’intérieur des poches,
vides, palpe la poche de poitrine, qu’un Bic rouge agrémente, et poursuit ce
qu’elle a à faire. Il n’y a pas d’eau chaude au robinet, mais l’eau sera tiède
si elle la mélange avec celle du thermos. Elle va chercher la petite. Le
nourrisson se laisse faire, ne pleure plus du tout. La femme baigne
entièrement sa tête, mouille son visage, détoure les oreilles, nettoie les
croûtes au nez, les yeux, le cou, entre les orteils, les parties génitales
écarlates. La porte s’ouvre quelquefois dans son dos, faisant entrer des voix,
mais se refermant aussitôt. On les laisse tranquilles. » Elle y retourne tous
les jours. La cheffe de la pédiatrie lui demande comment elle a pu lui donner
un nom : « Elle serre la serviette bleue dans sa main. En effet, elle s’est
permise de lui donner un prénom, mais sans jamais chercher à l’ébruiter,
sachant qu’il n’avait de valeur qu’affective, pour le temps où elles seraient
ensemble. Elle garde pour elle cette justification. Des guêpes sucent la
marmelade. Selma referme le couvercle et se lèche les doigts, avant de
prononcer sa question : « Pourquoi ne l’adoptez-vous pas ? » La voilà soudain
bouche bée, un œil plus haut que l’autre comme une figure de Picasso. » Le
jardinier Une amitié inattendue se noue entre l’épouse et le vieux jardinier
taciturne et facétieux, ils communiquent en langue de gestes et de mimiques. «
Ces deux-là semblent se comprendre et s’amuser au-delà du langage. Il va lui
réserver une surprise de taille le printemps venu, artisan d’une
démultiplication de fleurs improbables qui poussent dans le sable de son
jardin comme par miracle. » Les fils du jardinier sont impressionnés par la
manière de fumer de l’épouse, comme dans les films américains. « Eux et elle
ont en commun des yeux verts de chat abyssien ». Anne-Sophie Subilia a étudié
la littérature française et l’histoire à l’Université de Genève. Son mémoire
de master sur L’Obscurité du poète Philippe Jaccottet, a été récompensé en
2008 par le Prix Hentsch de littérature. En 2010, elle est à Montréal et
rencontre Kenneth White. Elle développe une écriture au rythme du pas, avec
pour horizon l’expérience sensible et imaginaire de l’espace. En 2013, master
à la Haute école des arts de Berne, en écriture littéraire. Elle travaille
avec Philippe Rahmy et Noëlle Revaz. Anne-Sophie Subilia est l’auteure de
Jours d’agrumes (l’Aire, 2013), prix ADELF-AMOPA 2014, de Parti voir les bêtes
(Zoé 2016, Arthaud poche, 2017) et de Neiges intérieures (Zoé janvier 2020,
Zoé Poche 2022), qui a été bien remarqué dans les médias français...
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